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PASSAGE DE LA TRINITÉ

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ALEXANDRINE JOSÉPHINE LÉCUYER-WALTER

(1842-1885)

Le 22 mai 1842, treize ans après la naissance de Léon-Louis, le foyer du ferblantier François Joseph LÉCUYER accueille, 138 rue Montmartre, une petite fille venue au monde de façon romanesque, alors que sa mère, Marguerite Colette POSIÈRE, traversait les jardins du Palais-Royal, Galerie Montpensier, précise son acte de naissance. L’enfant, qui fut prénommée Alexandrine Joséphine, grandit dans la boutique paternelle. L’entreprise de ferblanterie a pris de l’extension, car François Joseph a déposé en 1852 un brevet pour l’exploitation de son invention d’ "un appareil de circulation interne et concentrée pour le chauffage des bains". Il a donc embauché, sans doute comme apprenti, un jeune Allemand, Burckard Friedrich WALTER. Né à Heidelberg le 20 février 1833, Friedrich est le fils de Egidius WALTER et de Wilhelmine SCHOTT, qui se sont mariés le 14 octobre 1827 en l’église évangélique de Heidelberg. C’est également à l’église évangélique de la Rédemptionn dans le 9e arrondissement de Paris que sera célébré le mariage de Friedrich et d’Alexandrine, dont la famille est pourtant catholique. Au moment de son mariage, Friedrich habite à deux pas de la boutique de ferblanterie, 17, rue Saint-Joseph.

Quand Burckard Friedrich WALTER est-il venu en France? Son frère aîné, Carl Leonhard, né le 9 novembre 1830 à Heidelberg, ne semble pas s’être expatrié, pas plus que son père, maître tailleur à Heidelberg. En revanche, sa soeur Juliana Wilhelmine Friedrike, née le 8 février 1838, toujours à Heidelberg, viendra également en France. Comme son frère, elle s’y marie, le 13 juin 1868, à Paris 8e arrondissement, avec Paul Louis François COLOMBET. À cette date, on la dit cuisinière, demeurant 51 rue Mouffetard, qui est aussi l’adresse de Paul Louis François COLOMBET, lointain ancêtre de Vicky COLOMBET, peintre, qui fait actuellement carrière aux États-Unis.

(ci-dessous, la rue Montmartre au niveau du n° 65, et la rue Saint-Joseph, photos de Charles Marville, 1850; publicité pour l’appareil d’hydrothérapie LÉCUYER-WALTER; acte de mariage d’Alexandrine LÉCUYER avec Burckard Friedrich WALTER)

Alexandrine LÉCUYER épouse Burckard Friedrich WALTER, devenu l'associé de son père, le 3 mai 1862. Son frère Léon Louis est présent et signe l'acte de mariage. Elle n'a pas encore vingt ans et sa vie d'épouse et de jeune mère va être une suite de deuils, puis de traumatismes dûs à la guerre franco-prussienne et au siège de Paris. Dès l'année qui suit son mariage, elle met au monde un premier enfant, qui décédera à l'âge de trois ans. Un deuxième enfant naît en 1865, qui porte les prénoms de son oncle peintre, Léon Louis, mais qui décédera en 1870 à l'âge de quatre ans et demi. Quelques mois plus tôt, en février 1869, Alexandrine a mis au monde un troisième enfant, Paul Édouard, qui révélera des troubles psychiques et décédera en 1899 dans des circonstances tragiques. Enfin, le 23 mai 1871, alors que les massacres et les incendies de la semaine sanglante font rage dans Paris, naît Émilie, quatrième enfant d'Alexandrine, future mère de Marie Thérèse WALTER. Située au coeur de Paris, rue Montmartre, la famille LÉCUYER-WALTER a vécu dans toute son horreur le temps du siège de Paris puis de la Commune. Laure MURAT a multiplié dans L'Homme qui se prenait pour Napoléon les témoignages sur ce que furent les famines, massacres, épidémies durant ces quelques semaines et leurs incidences sur l'état psychique des habitants. Peut-on s'étonner que la raison d'Alexandrine ait vacillé alors? Mère de deux enfants qui n'ont pas vécu, d'un petit garçon d'un an et d'un bébé nouveau-né (Émilie est née le jour de l'incendie de l'Hôtel de Ville de Paris), comment ne se serait-elle pas sentie perdue, d'autant plus que son mari la trompe ouvertement et vient de s'approprier l'affaire de ferblanterie de son beau-père, décédé en juillet 1870? En 1875, alors qu'elle vient de mettre au monde son cinquième enfant, une petite Louise Lucie, pour la naissance de qui Léon Louis est de nouveau témoin, WALTER fait interner sa femme devenue apparemment trop encombrante, à l'asile de Charenton, à Saint-Maurice, où elle mourra dix ans plus tard, le 11 janvier 1885. Friedrich WALTER se remarie dès le mois de juin avec sa caissière Claire BERQUET. Jules LÉCUYER est témoin au mariage, ainsi que le docteur en médecine BELOT de REGLA, précurseur de l'oxythérapie, qui à ce titre a rendu hommage en 1881 à "WALTER-LÉCUYER" pour la réalisation d'"un appareil portatif pour les respirations d'air oxygéné"

(ci-dessous: "Siège de Paris, queue aux boulangeries, janvier 1871 rue St-Martin", dessin annoté de Ferat; "Mai 1871 à Paris", de Maximilien Luce; l'asile psychiatrique de Charenton au début du XXe siècle)

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ÉMILIE LÉCUYER-WALTER

(1871-1949)

Deuils, famines, massacres, incendies, on peut rêver mieux comme environnement de naissance. La suite de la vie d'Émilie n'arrange pas les choses. Elle a quatre ans lorsque sa mère lui est enlevée, et il ne reste, pour s'occuper d'elle, de son frère Paul Édouard et de sa petite soeur Louise Lucie, que la maîtresse de son père, qui deviendra sa femme six mois après la mort d'Alexandrine. Mal lui en prit : caissière du magasin, Claire BERQUET fut tuée en novembre 1888 par un cheval emballé qui vint défoncer la vitrine, fait divers qui occupa les journaux de l'époque, et laissa Burckard Friedrich WALTER veuf pour la deuxième fois. Il se remarie en 1891 avec Pauline SCHWARZ, Allemande née STEIGER, originaire de Bade-Wurtemberg. Elle a vingt ans, dix-huit de moins que son futur. Ses parents se sont expatriés en France où ils se sont mariés en 1861, légitimant Pauline par leur mariage, et habitent, comme WALTER, 17 rue Saint-Joseph. C'est là que naît leur fils Victor.

C'est le début, pour Émilie, d'une longue lutte, à la fois contre son père et contre Victor SCHWARZ qu'elle a épousé le 19 avril 1890. Né le 2 décembre 1862, 17 rue Saint-Joseph, il est le frère de Pauline. Curieux assemblage qui fait d'Émilie à la fois l'épouse et la belle-soeur de son mari. Mariage arrangé sans doute par WALTER, peu soucieux de rendre compte à sa fille de son héritage maternel. Ce n'est qu'en 1892 que sera fait devant notaire, et à la demande d'Émilie, l'inventaire après décès d'Alexandrine LÉCUYER. Au moment de son mariage, Victor SCHWARZ est l'associé de Burckard Friedrich, qui, notons-le, n'a jamais demandé la nationalité française. Toute la famille habite à Maisons-Alfort, dans la maison que WALTER a achetée en mars 1890, 6 Cité d'Alfort. Pendant cette période, Jules LÉCUYER est présent aux côtés de la famille d'Émilie. Est-ce lui le jeune peintre dont Émilie adolescente fut, dit-on, quelque peu amoureuse? L'air artiste romantique que son jeune cousin avait alors, et dont le couple battait de l'aile, s'y prêterait assez bien.

Ce n'est qu'en janvier 1894 qu'est prononcée la liquidation de la communauté LÉCUYER-WALTER et la vente du fonds de commerce du 138 rue Montmartre. Fin du différend avec son père au sujet de la succession de sa mère, mais non fin des tracas familiaux et juridiques pour Émilie. En 1896, elle va devoir faire face à la fois à son divorce avec Victor SCHWARZ et à la procédure d'internement et d'interdiction de son frère Paul Édouard. Visiblement, le mariage arrangé d'Émilie et Victor n'a jamais fonctionné, et le divorce est prononcé le 20 février 1896, "à la requête et au profit de la femme."

À son mariage raté et à la procédure contre son père, il faut ajouter parmi les préoccupations d'Émilie l'état psychique de son frère Paul Édouard. Comme il l'avait fait pour Alexandrine, WALTER a fait interner son fils. Depuis 1887, le jeune homme est à Charenton, s'enfermant dans un "mutisme volontaire et dédaigneux" et montrant une "agression impulsive contre son entourage" constatent les médecins de l'hôpital. Rébellion contre un contexte familial plus que perturbant et un internement forcé, ou véritable démence? Laure Murat (op. cit.) souligne qu'il n'en fallait pas beaucoup aux familles pour obtenir l'internement d'un des leurs au XIXe siècle. Balzac du reste s'était fait l'écho de ces abus dans une nouvelle intitulée L'Interdiction en 1836. C'est précisément la mesure que requiert WALTER contre son fils. Le dossier de procédure est consternant : Paul Édouard, sans conseil juridique, interrogé à charge par un juge dont l'opinion était déjà faite, n'avait aucune chance. Le jugement d'interdiction est prononcé en août 1896, et le garçon transféré de Charenton à l'hôpital psychiatrique de Clermont, dans l'Oise, où il meurt trois ans plus tard, en 1899. Émilie devra assurer elle-même les obsèques de son frère, et entamer une nouvelle procédure, qu'elle gagnera pour obtenir contre son père la part de l'héritage de leur mère Alexandrine LÉCUYER, qui revenait à Paul Édouard et dont il avait été privé comme elle.

Visiblement désormais, Émilie ne veut plus avoir rien à faire avec sa famille. Elle a quitté Maisons-Alfort et vit à Paris. On la retrouve en 1903 dans le 18e arrondissement où est déclarée à l'état civil la naissance de son fils Maurice, le 3 mai. Elle ne le reconnaîtra que cinq ans plus tard, le 26 février 1908, en même temps que sa fille Geneviève, dont la naissance est déclarée " fille de père et de mère non dénommés", toujours dans le 18e arrondissement le 8 octobre 1904. Jeanne naît un an et demi plus tard, déclarée comme sa soeur "fille de père et de mère non dénommés" le 12 janvier 1906 à la mairie du 18e arrondissement, et, comme sa soeur, reconnue par sa mère le 26 février 1908. Toutes deux seront reconnues tardivement, le 29 mars 1923, par Eugène VALROFF qui en assume la paternité. Eugène VALROFF est originaire de Saint-Leu-la-Forêt. Au moment où il reconnaît les deux filles d'Émilie, il habite à Paris dans le 20e arrondissement, où il décède en juin 1924. Est-il le père de Geneviève et Jeanne qui désormais portent son nom? Ou est-ce son cousin Léon VALROFF? Quant à Maurice, que personne ne se soucie de reconnaître, il continuera de porter le nom de WALTER, tout comme la petite dernière, Marie Thérèse, qui vient au monde le 14 juillet 1909.

Après la rencontre de Marie Thérèse avec PICASSO, la vie d'Émilie sera subordonnée à celle de sa fille qui la soignera fidèlement jusqu'à sa mort, le 2 août 1949

(ci-dessous, Émilie WALTER, photo, et portrait par PICASSO, 1939)

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MARIE THÉRÈSE WALTER

(1909-1977)

Née au Perreux, aujourd'hui dans le Val-de-Marne, le 14 juillet 1909, Marie Thérèse Léontine est déclarée "fille de père et de mère non dénommée", selon la formule consacrée, et sous le patronyme de DESLIERRE. C'est tout simplement le nom de la villa des Lierres qu'habite alors Émilie. Sur l'acte d'état civil, ce nom est rayé et remplacé par celui de WALTER. On y indique aussi que sa mère l'a reconnue le 9 janvier 1911.

C'est à Maisons-Alfort que Marie Thérèse a grandi, sans suivre la voie de ses soeurs aînées qui font de brillantes études de médecine, mais c'est à elle que fut réservée la rencontre, à dix-sept ans, d'un artiste qui illumina sa vie. A-t-elle jamais su que de l'autre côté de la Marne, à Charenton, sa grand-mère maternelle a vécu un terrible enfermement? Émilie, elle le savait. Mais ici s'arrête l'évocation des origines LÉCUYER-WALTER de Marie Thérèse. La suite de sa vie est une autre histoire. Parmi les biographies qui en ont fait le récit, c'est celle de Laurence MADELINE, publiée en 2022 sous le titre : Marie Thérèse Walter & Pablo Picasso, biographie d'une relation, qui m'a le plus émue et le mieux informée.

(ci-dessous: acte de naissance de Marie Thérèse WALTER, le 14 juillet 1909 au Perreux; Marie Thérèse WALTER chez sa mère, 6 Cité d'Alfort, avec son chien Dolly, 1930; portrait de Marie Thérèse, dessin de PICASSO, 1939)

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Léon Louis LÉCUYER

Jules LÉCUYER

Jeanne LÉCUYER