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PASSAGE DE LA TRINITÉ

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JEANNE LÉCUYER

(1899-1976)

ENFANCE - ENTRÉE AU CONSERVATOIRE DE PARIS

Jeanne LÉCUYER est née à Paris en 1899, du remariage de Jules LÉCUYER avec sa jeune cousine Pauline COLOMBET. Elle a presque vingt ans d’écart avec son frère Jules, dix ans d’écart avec sa soeur Georgette, nés tous deux du premier mariage de leur père. Enfance heureuse, choyée même, dans un milieu où l’art fait le quotidien des jours. Son père et son frère sont peintres, parmi les amis de la famille, les frères BELHOMME, dont l’un, Alfred, est peintre et l’autre, Hippolyte, chanteur.

C'est Hippolyte BELHOMME, entré en 1885 dans l'emploi de basse chantante à l'Opéra-Comique, qui remarque la voix de Jeanne et suivra attentivement sa formation lyrique. Après des études de piano, elle entre au Conservatoire de Paris en 1921 dans la classe de chant de Jacques ISNARDON

(ci-dessous, la classe de Jacques Isnardon rue de Madrid. Le maître est assis au centre, Jeanne debout à droite; Correspondance de Jeanne avec son professeur pour la préparation du concours de chant).

En 1922 et 1923, elle obtient ses premières récompenses, accessits de chant et d'opéra-comique ("elle joue mal, chante délicieusement" dit un critique). Durant ces deux années, elle donne également des concerts en province avec la troupe du Théâtre de Cluny de Paul ROBERT. À son répertoire, Carmen, Les Noces de Figaro, Manon, Lohengrin, et la Villanelle de Del Acqua. Au printemps 1924, elle part avec trois autres élèves, MICHELETTI, FAGUEN et Mlle BOCQUET, pour une tournée de concerts à Bastia. Accueil triomphal. Tous les quatre seront lauréats au Concours du Conservatoire trois mois plus tard (ci-dessous, départ pour Bastia. Jeanne est à droite).

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PREMIER PRIX DE CONSERVATOIRE - DÉBUTS À L'OPÉRA DE PARIS

En juillet 1924 commence pour Jeanne la session mouvementée des Concours du Conservatoire, qui s'achève pour elle en triomphe. Le 27 juin a eu lieu de concours de chant. Jeanne chante l'air du Freischütz de Weber et n'obtient qu'un second prix. Murmures et contestations de la part du public et de la presse: "Le public a été fort en colère, parce qu'on n'a pas donné le premier prix à Mlle LÉCUYER. En effet, Mlle LÉCUYER a chanté de façon superbe l'air du Freischütz, et elle paraît avoir un tempérament dramatique" écrit un journaliste. Nouvelle déception début juillet au concours d'opéra-comique. Cette fois, la critique se fait sévère à l'égard du jury: "Encore une mauvaise journée pour le Conservatoire. Une seule voix s'est imposée à notre admiration, celle de Mlle LÉCUYER, une voix large, solide, bien timbrée, éclatante et chaude, une très belle voix de théâtre, facile et intelligente, une voix hors pair, qui s'impose; or, Mlle LÉCUYER n'a reçu aucune récompense. Jusqu'à demain, la seule explication possible de cet oubli est que l'on réserve le premier prix d'Opéra à cette voix qui ferait peut-être scandale à l'Opéra-Comique. Réservons donc notre jugement, car l'anormal, même au Conservatoire, a des limites."

Et en effet, le lendemain, un superbe premier prix d'Opéra et Tragédie lyrique est décerné à Jeanne, dans le rôle de Marguerite de Faust. Prix d'autant plus remarqué qu'il fut le seul décerné, pour les hommes comme pour les femmes : "Pour les hommes et les femmes, il n'y eut en tout et pour tout qu'un seul premier prix, aussi le mérite de Mlle LÉCUYER, qui l'obtint, n'en parut-il que plus grand. Et la décision du jury fut accueillie par l'ensemble des auditeurs avec enthousiasme. Mlle LÉCUYER possède l'une des plus belles voix de soprano dramatique qu'il nous ait été donné depuis longtemps d'entendre. Les personnalités les mieux qualifiées s'accordent pour prédire à la jeune lauréate un avenir brillant."

Les effets de ce premier prix se font en effet sentir sur-le-champ: dès juillet, Jeanne offre un concert aux "milliers de sans filistes" du poste T.S.F. du Petit Parisien, et surtout, Jacques ROUCHÉ, directeur de l'Opéra de Paris, l'engage immédiatement. Le contrat, signé le 28 juillet 1924, sera prolongé jusqu'au 30 septembre 1926. Jeanne débute donc sur la scène de l'Opéra de Paris dans le rôle écrasant de Marguerite de Faust, le 14 décembre 1924, dirigée au pupitre par Gabriel GROVLEZ. Critique très encourageante de Pierre MAUDRU : "Ses débuts sur notre grande scène lyrique auront été heureux; le public, après l'air des bijoux, l'a encouragée par des applaudissements nourris... Il me semble, dès maintenant, que Mlle LÉCUYER peut tenir parfaitement sa place à l'Opéra."

(ci-dessous, lettre d'encouragements affectueux de Rose Caron avant la Concours, 25 juin 1924; Article du journal Comoedia sur le premier prix; Programme de la soirée du 14 décembre 1924 à l'Opéra de Paris.

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1925-1927 - SCÈNES LYRIQUES, CONCERTS ET GALAS

Les années 1925-1927 sont chargées. Deux représentations lyriques, Hérodiade en mars 1926 sur la scène du Théâtre National Populaire, Palais du Trocadéro à Paris, où Jeanne tient le rôle de Salomé, et La Walkyrie, dans le rôle de Helmwigue, à l'Opéra de Paris en août 1926. Mais surtout, elle multiplie les galas et les concerts, qui sont l'occasion d'explorer un répertoire moderne, Reynaldo HAHN, Camille SAINT-SAËNS, César FRANCK, Henri DUPARC, Alfred BACHELET, Marc DELMAS, qui lui convient parfaitement, de connivence souvent avec les compositeurs. Entre autres concerts, elle chante à Paris en mai 1925 pour le gala du Centenaire de la naissance de Charcot, Au bord de l'eau, de Gabriel FAURÉ, Phidylé, de Henri DUPARC, Paysage, de Reynaldo HAHN, Le mariage des roses, de César FRANCK. En mars 1926, elle participe, avec le chanteur CAMARGO et les Concerts Colonne dirigés par Gabriel PIERNÉ, à un gala de musique brésilienne donné salle Gaveau. En mars 1927, salle Pleyel, dans un concert qui réunit pour le centenaire de la mort de Beethoven, Gil GRAVEN, Charles GOETZ et Jeanne LÉCUYER, elle chante Apaisement, l'air d'Agathe du Freischütz, et deux mélodies, Au pays des vieilles lunes et L'eau qui rêve, de Marc DELMAS, accompagnée par le compositeur. À Nancy, la même année, elle interprète une mélodie, Chère nuit, de son ami le compositeur Alfred BACHELET qui l'accompagne au piano. 

Écoutez Paysage de Reynaldo HAHN :

Écoutez L'eau qui rêve de Marc DELMAS :

Écoutez Phidylé de Henri DUPARC :

Écoutez Le mariage des roses de César FRANCK :

ci-dessous : mars et août 1926, programmes du TNP et de l'Opéra de Paris

mars 1926, Gala de musique brésilienne salle Gaveau, photo dédicacée de Camargo

mai 1925, concert pour le centenaire de la naissance de Charcot; mars 1927, concert pour le centenaire de la mort de Beethoven, salle Pleyel,

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SAISON 1927-1928 À LIÈGE

En mai 1927, Jeanne a signé un contrat d'engagement de cinq mois, à compter d'octobre 1927, avec François GAILLARD, directeur du Théâtre-Royal de Liège, en qualité de "première chanteuse". La programmation est écrasante : gala d'ouverture de la saison à Spa le 14 juillet 1927, puis Faust, Thaïs, La Tosca, Hérodiade en gala avec le ténor belge ANSSEAU, création de Rhena, du compositeur belge Jean VAN DEN EEDEN, Cavalleria rusticana, La Walkyrie, Madame Butterfly, Lohengrin à Liège, Namur et Maastrich en représentation d'adieu et d'hommage à Jeanne.

❧ octobre 1927, Faust, dans le rôle de Marguerite.

La critique, élogieuse, note malgré tout le "trac" qui handicape la cantatrice: " En dépit d'une forte émotion, Mlle LÉCUYER fit de bons débuts... Bonne comédienne, notre première chanteuse sut faire valoir la fraîcheur d'un timbre distingué, le charme de ses inflexions et une expression juste."

❧ octobre 1927, Thaïs, dans le rôle éponyme.

Écho de presse : "L'exécution d'hier fut pour la troupe de l'orchestre l'occasion d'un succès. Madame LÉCUYER qui tenait le rôle de Thaïs n'a pas trompé notre attente, nous avons pu apprécier sa voix d'une grande puissance qu'elle a eu l'occasion de déployer dans toute son étendue. Elle a traduit son rôle avec brio au point de vue vocal. Son jeu scénique atteint à certains moments un réalisme prenant. Qu'elle nous permette cependant de trouver, à côté de ces élans de grande comédienne, l'une ou l'autre scène empreinte d'une sobriété trop grande. Mais cette réserve n'est faite que parce que nous sommes persuadé que Madame LÉCUYER peut atteindre la perfection."

❧ octobre 1927, La Tosca, dans le rôlede Floria Tosca.

" Nous avons déjà dit tout le bien que nous pensions de la voix de Madame LÉCUYER, dont nous avons admiré l'étendue et la sonorité du timbre. Elle eut l'occasion de la déployer de façon brillante dans cette partition à tessiture très vaste."

La Gazette de Liège :" Mlle LÉCUYER, qui a fait un bond énorme depuis le début de la saison, joua le rôle de Floria avec beaucoup de distinction, d'émotion et de charme. La Prière fut chantée avec beaucoup d'élévation, où le trouble de l'âme se mêlait aux sentiments de la passion... Cette artiste mit beaucoup d'élan et de conviction dans son jeu et remporta un légitime succès."

❧ 28 octobre 1927, Hérodiade, dans le rôle de Salomé, soirée de gala avec le ténor belge Fernand ANSSEAU.

❧ novembre 1927, création à Liège de Rhena, drame lyrique de J. VAN DEN EEDEN, créé en 1912 au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles. Jeanne tient le rôle titre.

" La direction du Théâtre-Royal vient de consacrer son premier gala de la saison à une oeuvre d'auteur belge, oeuvre considérée à juste titre, comme une des meilleures parmi la production lyrique de notre pays... L'interprétation fut en tout point remarquable... Mlle LÉCUYER, dont le rôle de Rhena est écrasant, composa son personnage avec beaucoup de vérité et d'élan. Sa jolie voix se prêta, en dépit d'une écriture dans une tessiture fort élevée, admirablement au drame qui secoue son être tourmenté. On peut dire que le premier et le deuxième actes ne lui laissent pas un instant de repos, et cependant elle soutint l'oeuvre avec une extrême vaillance. Ce fut vraiment très bien, et très applaudi."

❧ janvier 1928, La Walkyrie, avec le ténor Paul FRANZ, de l'Opéra de Paris. Jeanne tient le rôle de Sieglinde.

La critique est dithyrambique : "M. François GAILLARD a le rare mérite d'avoir réinscrit au répertoire du Théâtre-Royal de Liège quelques oeuvres wagnériennes parmi les plus importantes : Lohengrin, Tannhaüser, Tristan et Yseult, Siegfried, La Walkyrie. Pour donner à cette dernière tout l'éclat et la justesse qu'elle réclame, M. F. GAILLARD a fait appel à un des plus grands metteurs en scène wagnériens du moment, M POOLMAN, directeur de l'Opéra National de La Haye. Il a réussi des merveilles... M. FRANZ, de l'Opéra, reste, dans la foule des artistes français, le seul vrai ténor wagnérien. Il en a la voix solide et longue, idéalement homogène, conduite avec l'art vocal le plus complet, servie par une diction d'une netteté absolue. Superbe Siegmund, M. FRANZ possède cette chose que nous ne définissons pas, et que nous appelons le style, c'est-à-dire la perfection, sans une faute jamais, sans un mot, un geste, une attitude autorisant l'ombre même de la critique... Mme LÉCUYER a tracé de Sieglinde une figure ardente, émouvante, tragique et douce à la fois, préparant le plus intelligemment qu'il soit le drame qui suivra : Siegfried. Avec une vaillance dont on ne l'aurait peut-être pas cru capable, elle a tenu tête à la tessiture de sa partie, particulièrement dure. C'est pour elle un gros, un très gros succès, dont je suis heureux de la féliciter."

❧ 16 février 1928, Lohengrin, dans le rôle d'Elsa. Soirée d'adieu en l'honneur de Jeanne.

Le bilan critique de la saison passée à Liège est très élogieux : " La soirée, qui fut brillante, était donnée en l'honneur de Mlle LÉCUYER, première chanteuse. Disons tout de suite que le public liégeois rendit hommage à ses qualités d'artiste; applaudie, fleurie, Mlle LÉCUYER reçut aussi de nombreux cadeaux. Un peu émue de se voir décerner tant de jolies choses, Mlle LÉCUYER parut très sensible à ces marques d'admiration. De toutes les carrières théâtrales, celle de première chanteuse semble une des plus périlleuses. Non seulement elle réclame de grandes qualités vocales, de l'endurance, de sérieuses connaissances musicales, un répertoire étendu, mais aussi elle exige beaucoup de charme et de distinction. Mlle LÉCUYER au cours de cette saison, nous a prouvé à maintes reprises qu'elle était à la hauteur de sa tâche. Elle fut, l'autre jour, admirée dans La Walkyrie; aujourd'hui, elle triomphe dans Lohengrin. Il est vrai que sa voix, au timbre chaud et prenant, est parfaitement conduite et que, bonne comédienne, Mlle LÉCUYER se montre fort adroite. Elle chanta le rôle d'Elsa avec beaucoup d'élévation et de grandeur, tout en y mettant une expression profonde. Le succès qui lui fut fait fut largement mérité."

ci-dessous, Jeanne en scène dans les rôles de Thaïs et de Salomé.

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1929-1931, CONCERTS À PARIS, ÉMISSIONS T.S.F. POUR LE POSTE PARISIEN

Discrète, voire timide, Jeanne LÉCUYER n'avait pas le tempérament d'une diva. À son retour à Paris après la saison épuisante de Liège, elle renonce à la scène pour se consacrer aux concerts et aux émissions à la radio. Le 12 novembre 1929, elle donne un concert salle Érard avec Charles GOETZ et Gil GRAVEN. Elle chante l'air de Marguerite de La Damnation de Faust de Berlioz, et revient à un répertoire de mélodies, deux mélodies d'Albert Roussel et quatre mélodies de Schumann et Schubert. Le 30 décembre 1930, elle interprète salle Chopin, en concert avec le Quatuor La Candela-Pasquier trois mélodies de G. Lekeu, dont Sur une tombe dont les paroles viennent en écho avec le souvenir de son père Jules LÉCUYER, peintre de roses, décédé neuf jours plus tôt.

Écoutez Sur une tombe de Guillaume Lekeu

Dès 1924, à l'occasion de son premier prix de Conservatoire, Jeanne s'était fait entendre le 18 juillet à la radio sur le tout récent Poste Parisien, lancé en avril 1924 par le directeur du journal Le Petit Parisien. En 1929, deux émissions lui sont consacrées, le 8 avril et le 16 septembre. En 1930, elle enregistre La Tosca, dirigée par Francis CASADESUS, et en 1931 La Vestale, toujours pour le Poste Parisien.

En 1933, Jeanne épouse Louis DUPRÉ (1881-1970), artiste peintre décorateur, professeur à l'École des Beaux-Arts de Paris, et restaurateur au château de Compiègne, au Panthéon et à l'Hôtel des Invalides à Paris, au château de Rambouillet, et au domaine de Versailles. Elle se consacre désormais à ses leçons de chant et de piano.

Elle est décédée en 1976.

(ci-dessous, les programmes de concerts de 1929 et 1930; Jeanne photographiée devant le micro du Poste Parisien en 1929; l'enregistrement de La Tosca dirigée par Francis Casadesus, qui a dédicacé la photo à Jeanne; 1958, Jeanne au piano, derrière elle, le panneau peint par son père.)

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