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PASSAGE DE LA TRINITÉ

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LÉON LOUIS LÉCUYER

(1829-1877)

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D’ÉCUBLÉ À CHARTRES ET DE CHARTRES À PARIS

La famille LÉCUYER est originaire du Thymerais, en Eure-et-Loir, à proximité de Chartres. Une première mention du nom apparaît dans un registre chartrain des dépenses faites pendant les guerres de religion, à l’occasion du siège de Chartres par l’armée huguenote de Louis de Bourbon-Condé: Michel LÉCUYER fut, pendant les mois d’octobre 1567 et février-mars 1568, messager au service de la ville (E. de Lépinoy, Histoire de Chartres, t.II, p.246) (ci-dessous, la carte Cassini de la région de Châteauneuf-en-Thymerais où se lit le nom d'"Ecubley").

Dans les registres paroissiaux de trois communes situées à 20 kms au sud-ouest de Chartres, au coeur du Thymerais, Écublé, Marville-les-Bois et Theuvy, on peut suivre sur sept générations l’histoire de la famille, dont le peintre Léon Louis LÉCUYER descend en ligne directe.

Le premier feuillet du registre paroissial d’Écublé, en date du 18 juin 1668, enregistre le mariage de Sébastien LÉCUYER et de Louise FÉLIBIEN, fille de Jean FÉLIBIEN et de Louise DU BOIS (ci-dessous), apparentés à André FÉLIBIEN, « sieur des Avaux et de Javercy », né à Chartres en mai 1619 et décédé à Paris le 11 juin 1695, qui fut historiographes des bâtiments du roi, garde des antiques, ami de Nicolas Poussin et de Charles Lebrun qui fit son portrait

Durant cinq générations, du XVIIe siècle au milieu du XVIIIe, Louis, Florent, Michel, François, Jean François LÉCUYER ont exercé de père en fils à Écublé des métiers en relation avec la laine des moutons: bergers, cardeurs, marchands drapiers. François, né en 1733, rompt avec la tradition et devient à Chartres, paroisse Saint-Saturnin, « facteur aux chantiers de bois », puis « huissier royal au bailliage de Chartres ». Né à Chartres en 1766, son fils François Jean épouse en 1796 Denise BUISSON, originaire de Courville-sur-Eure, veuve de Pierre BONNET, et déjà mère de deux fils de son premier mariage, qui deviendront artisans, sellier et ferblantier. C’est François Jean qui franchit le pas de Chartres à Paris en devenant « facteur » aux Messageries royales, installées à Paris depuis 1779 à l’Hostellerie du Cerf, 145 rue Saint-Denis (ci-dessous, l'arrivée de la diligence, par Boilly, 1803 et photo du même lieu par Charles Marville, vers 1850).

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PASSAGE DE LA TRINITÉ À PARIS

Le Passage de la Trinité à Paris doit son nom à l’hôpital qui fut fondé à cet emplacement au début du XIIe siècle. Depuis le XVIe siècle jusqu’à la Révolution, on y accueillit des enfants pauvres ou orphelins, à qui l’on donnait une éducation et un métier. C’est ainsi que s’installèrent dans son enceinte des artisans, qui accédaient à la maîtrise, à charge pour eux de former à leur art les « enfants bleus », ainsi appelés à cause de la couleur de leur vêtement. Après la Révolution, l’enceinte de la Trinité resta lotie et occupée par des artisans jusqu’au décret d’expropriation et de démolition du 29 septembre 1854, pour permettre l’ouverture du boulevard du Centre, futur boulevard Sébastopol. À deux pas se trouvait le siège des Messageries Royales. C'est là qu’est venu s’établir François Jean LÉCUYER. Il habite alors rue du Mail, puis rue Montorgueil. Ses deux beaux-fils habitent tout près de là, Pierre BONNET, 92 Passage du Caire, comme ferblantier, et Louis BONNET, 115 rue Montmartre, comme sellier.. Tous sont donc venus s’établir à Paris sous l’Empire et la Restauration, dans le plus vieux quartier de Paris

(ci-dessous, le plan de Paris de 1840 où l'on voit l'enclos de la Trinité, et la rue Montmartre photographiée par Charles Marville)

En décembre 1828, le fils de François Jean, François Joseph LÉCUYER épouse en l’église Saint-Merri Marguerite Colette POSIÈRE, dont la famille est originaire de Condé-sur-l’Escaut et habite à Paris rue des Grands-Chantiers (aujourd’hui rue des Archives). De leur union naît Léon Louis LÉCUYER, le 30 septembre 1829, 74 rue des Arts, Passage de la Trinité. Il est baptisé le même jour en l’église Saint-Nicolas-des-Champs. C’est donc dans ce très vieux Paris, au milieu d’artisans et d’artisans d’art qu'a grandi le futur peintre. À la naissance de leur deuxième enfant, Alexandrine Joséphine, en 1842, François Joseph est dit ferblantier, comme son demi-frère, il est établi 138 rue Montmartre. Alexandre Joséphine fut la grand-mère de Marie Thérèse WALTER, l’égérie de Pablo PICASSO.

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1848-1849, À L’ÉCOLE DE FERDINAND DUPUIS

Où Léon Louis a-t-il appris à dessiner et à peindre? Sa vocation d’artiste dût se manifester très tôt, la fermeté de l’autoportrait au crayon portant la mention: « Léon Louis Lécuyer à 18 ans » et déjà le monogramme des deux L accolés, puis, l’année suivante de l’autoportrait au pastel signé du monogramme et daté de 1848 sur papier gris format coquille, l’attestent.

Le n° 138, adresse de la famille et de la boutique de ferblantier de François Joseph LÉCUYER et Colette POSIÈRE, correspond à la section de la rue Montmartre du quartier Feydeau de l’époque. Léon Louis a peut-être fréquenté la toute nouvelle école Turgot, ouverte le 14 octobre 1839, rue Neuve-Saint-Laurent, quartier Saint-Denis. Il y aurait appris les rudiments du dessin graphique et ornemental qui était la spécialité de l’école, technique qu’il mettra en oeuvre dans les planches lithographiées 9, 10 et 15 qu’il fournit pour le Manuel de peinture que Petit et Bisiaux, peintres décorateurs, publient en 1852 à Paris, 33 rue Bellefonds, imprimeur lithographe Dupuy, 57 bd de Strasbourg, au coin du Passage du Désir. Les planches 9 et 15 représentent des motifs décoratifs, sans doute pour des façades de commerce de boulangerie et de boucherie, la planche 10 représente plus classiquement des motifs de rinceaux. Sans doute est-ce dans cette même période qu’il faut situer une composition ovale réalisée sur papier au crayon et au pastel, représentant le château de Crussol (Drôme), dont Léon Louis possède une lithographie d’après un dessin de Victor Petit, qu’il introduit dans une composition de paysage imaginaire et signe des deux L accolés. Le volume de Victor Petit (1817-1871) intitulé Architecture pittoresque ou Monumentss des XVe et XVIe siècles, composé de cent une planches, où figure le château de Crussol, planche 30, a été publié chez Boivin en 1854, et republié en 1860 sous le titre: Châteaux de France des XVe et XVIe siècles (ci dessous, la composition au pastel de Léon Louis et la lithographie de Victor Petit).

Une autre possibilité, corroborée par la mention du Catalogue du Salon où il expose en 1864, 1866 et 1868 et où on le dit élève de F. DUPUIS, est que Léon Louis ait effectivement commencé l’apprentissage du dessin avec Ferdinand DUPUIS qui, comme son frère Alexandre, était artiste peintre et professeur. Peintre de portraits, Ferdinand exposa au Salon en 1831 et 1835, et fut professeur au Collège Royal Henri IV, où il eut Maurice SAND pour élève, tandis que son frère enseignait au Collège Saint-Louis. Tous deux avaient élaboré et appliqué une méthode novatrice de l’enseignement du dessin, et particulièrement de la perspective, qui reçut en 1834 l’approbation du ministre de l’Instruction publique. Les cours avaient lieu 26 Passage des Petites Écuries (quartier de la Porte Saint-Denis) trois fois par semaine les lundi, mercredi et vendredi de 8h à 10h du soir. Ferdinand DUPUIS enseignait aussi dans les écoles et collèges de la ville de Paris, et c’est ainsi sans doute qu'il remarqua et encouragea Léon Louis. Sous son impulsion, le jeune homme dessine également « sur le motif ». Quatre dessins sur papier au crayon Conté, rehauts de craie blanche et de gouache représentant le Pont de Sèvres et la maison du parlementaire, sur papier chamois, l’île Seguin, portant la mention: « tête de l’île Seguin en regard du Pont de Sèvres », signé, daté: « LLLécuyer, 1849 septembre » sur papier gris bleuté, la côte de Meudon, avec les ruines du château de Bellevue sur papier bleu, signé LLLécuyer, et l’entrée du Parc de Saint-Cloud, sur papier chamois, quatre dessins auxquels il faut ajouter une aquarelle représentant l’Acqueduc de Marly, conservée aujourd’hui au Musée de l’Île-de-France au château de Sceaux (ci-dessous).

PASSAGE DE LA TRINITÉ

Léon Louis LÉCUYER, peintre

Jules LÉCUYER, peintre

JeanneLÉCUYER, cantatrice

MARIE THÉRÈSE WALTER

C’est sans doute aussi sous la férule de Ferdinand DUPUIS que Léon Louis copie consciencieusement à la plume les planches de « L’anatomie de l’allemand Preissler » représentant le squelette et la musculature du corps humain, de face, profil et dos, illustant une nomenclature répertoriée en onze séries, depuis le crâne jusqu’au pied, et suivie d’un texte intitulé: « de la mesure du corps humain ». L’étude de l’anatomie devait être obligatoire dans la formation d’un jeune peintre, mais Léon Louis n’a visiblement aucune intention de se lancer dans les grands genres, peinture mythologique, d’histoire ou de genre qui exigeraient une telle connaissance.

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1850-1860, DE CAPRICCIO AUX BATELEURS

À 21 ans, en 1850, Léon Louis fait la preuve de son talent de peintre et de sa liberté d’artiste avec un tableau signé des deux L et du nom de LECUYER en capitales, et portant la date de 1850 sur un phylactère qui s’enroule autour de la composition. Ce tableau a été peint sur toile format figure 65x54 cm, n°15, aujourd’hui marouflée sur masonite. C’est un « grotesque » extraordinaire, dans l’esprit des dessins lithographiés publiés dans le Manuel de Peinture de Petit et Bisiaux mentionné plus haut. L’oeuvre, apparue en 2016 de façon très surprenante sur le marché de l’art à Florence, se présente comme un tableau placé dans un cadre peint en trompe l’oeil, orné de petites perles et de pierres précieuses aux quatre angles. Au milieu, le tableau proprement dit offre une composition déconcertante: sur une sorte de table décorée de godrons est posée une urne ornée à son sommet de deux chimères. Devant cette urne, et contrastant avec le piédestal très ouvragé sur lequel il est posé, trône un petit amour en plâtre, modèle d’atelier qui fait penser au « Cupidon » de Cézanne. Tout autour, dans un ensemble d’entrelacs et de grotesques, sont représentés à gauche des attributs masculins, à droite des attributs féminins. Au-dessous, côté masculin, des fruits, côté féminin, des fleurs, bien dans la manière postérieure de L.L. LÉCUYER. Et parmi tout cela, un étrange bestiaire de mouches et de papillons de nuit. Au premier plan, environné d’entrelacs, un buste féminin entouré de deux torches nuptiales à la manière antique.

Quant au sujet de ce tableau que le Catalogue de vente a judicieusement nommé « Capriccio », sa composition proliférante, mais où dominent les attributs masculins et féminins arbitrés par le petit amour en plâtre, pourrait faire penser à un cadeau humoristique, une « blague » (mot employé, on va le voir, sur le tableau des Bateleurs) destinée à un confrère sur le point de se marier. Parmi les attributs masculins figurent en effet des instruments d’artiste peintre: une palette, un compas, une équerre. La prolifération des rinceaux et des godrons suggèrent une parodie des motifs décoratifs appris à l’école et reproduit comme un travail alimentaire pour l’ouvrage de Petit et Bisiaux, mais aussi un goût pour l’étrangeté que l’on retrouvera dans le curieux vase à la tête de Méduse et aux serpents, issu de l’atelier du céramiste Barbizet qui figurera dans la composition du tableau intitulé « Vase et fruits du midi » exposé au Salon en 1868.

Ce goût pour l’étrange, associé à un talent certain pour la satire se retrouve dans la représentations en 1858 de ses amis (ou ennemis?) artistes en bateleurs ou bonimenteurs de foire. le curieux format de cette petite toile fait penser aux bandeaux satiriques publiés en tête du journal La Silhouette à la même époque.

Le 2 avril 1854, Léon Louis LÉCUYER épouse Clémence Flore MONTAGNE. Elle est originaire du Nord, née à Péronne (Somme) le 11 mai 1834, "sur un bateau près de l'écluse du canal, terroir de Péronne", fille et petite-fille de bateliers. Léon Louis et Clémence Flore se connaissent depuis au moins deux ans déjà, puisque Léon Louis fait en 1852 le portrait au pastel de la jeune femme, dans une stricte robe bleue, un timide sourire aux lèvres, et note dans l'angle à droite: "1852 Clémence Montagne". Les deux premiers enfants du couple, désormais installé Chaussée Clignancourt à Montmartre, ne vivent pas. Viendront ensuite quatre autres enfants, dont Jules, futur peintre comme son père, est l'aîné

(ci-dessous, plan de la Chaussée Clignancourt à Montmartre en 1843, avec l'amorce de la future rue du Château, et aquarelle de Léon LEYMONNERIE représentant le Château rouge en 1863).

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1860-1870, LE CHOIX DE LA GRANDE PEINTURE DÉCORATIVE.

Totalement étranger aux bouleversements esthétiques qui fondent ces années-là l'art moderne, Léon Louis s'inscrit comme peintre de fleurs dans la grande tradition du XVIIe siècle de Jean Baptiste MONNOYER, dans celle de CHARDIN comme peintre de nature morte (ci-dessous), et dans celle de HUBERT-ROBERT et de LAJOUE dans le goût pour les compositions de paysages et de ruines de fantaisie. Les tableaux de fleurs et de fruits de Jan VAN DAEL (1764-1840) offrent une grande parenté d'inspiration et d'exécution avec ceux de Léon Louis LÉCUYER.

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1864-1868, LE TEMPS DES SALONS

Toujours à Montmartre, le couple vit désormais 11 rue du Château, près du charmant Château-rouge loti depuis 1844. En 1864, à 35 ans, Léon Louis est reçu pour la première fois au Salon pour une "Nature morte, panneau de salle à manger" (Catalogue n°1150). Il expose en 1866 un somptueux panneau décoratif de fleurs sur fond de ruines inspirées de HUBERT-ROBERT (Catalogue n°1160), dont une gouache montre le travail préparatoire. Les Catalogues du Salon le disent élève de F. DUPUIS aîné, et de BAUDRY. Mention surprenante puisque Paul BAUDRY, né en 1828, a le même âge que Léon Louis et qu'il est, dans les années qui nous occupent, tout à son projet de décoration de l'Opéra Garnier

(ci-dessous, la gouache préparatoire et le grand panneau exposé au Salon en 1866, la paire de tableaux présentés au Salon de 1868, avec une image du vase à la méduse de Barbizet qui a servi à la composition de "Vase et fruits du midi").

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1870-1877, DERNIÈRES ANNÉES

En 1870, à la mort de son père, Léon Louis est revenu dans son ancien quartier, 28 rue Saint-Joseph, tout près de la boutique de ferblanterie du 138 rue Montmartre. Problèmes familiaux? Entre temps, le 3 mai 1862, sa petite soeur Alexandrine a épousé l'associé de son père, Burckard Friedrich WALTER, qui entend bien désormais diriger l'affaire, nous y reviendrons plus loin. Bref retour à Paris, sans doute, puisqu'en 1873, quand il demande le rétablissement des actes d'état civil déptruits pendant la Commune, Léon Louis et sa famille habitent à Nogent-sur-Marne, 80 avenue du Val-de-Beauté. L'emménagement est très récent puisqu'au recensement de 1872, la maison était notée comme inoccupée. C'est là que Léon Louis meurt le 1er octobre 1877, âgé d'à peine 48 ans. Clémence Flore se trouve veuve avec quatre enfants à charge, dont le plus jeune vient d'avoir 4 ans. Le recensement de Nogent-sur-Marne de 1881 montre que ce n'est plus elle qui habite le 80 avenue du Val-de-Beauté. Elle est revenue vivre à Paris, 69 boulevard Ornano, comme l'indique l'acte de mariage de son fils aîné, Jules, le 15 juin 1878, avec Héloïse Anna DEMOLLIENS.

Jules LÉCUYER, peintre ❧❧❧

Jeanne LÉCUYER cantatrice ❧❧❧

Marie Thérèse WALTER égérie de PICASSO ❧❧❧