LÉON-LOUIS LÉCUYER (1829-1877)
D'ÉCUBLÉ À CHARTRES ET DE CHARTRES À PARIS
Les tout premiers registres d'état civil témoignent de la présence de la famille Lécuyer dans le petit village d'Écublé, en Thymerais, à 20 kms au Nord-Ouest de Chartres. Terre d'élevage ovin plus que de culture, en lisière de Beauce. Durant cinq générations, du XVIIe siècle au milieu du XVIIIe, Louis, Florent, Michel, François, Jean-François y ont exercé de père en fils des métiers en relation avec la laine des moutons: bergers, cardeurs, marchands drapiers. C'est Jean-François qui, en se mariant à Chartres, paroisse Saint-Saturnin, rompt avec la tradition et devient "commis aux chantiers de bois". Son fils François-Jean est né à Chartres en 1766. Il a épousé en 1796 Denise Buisson, originaire de Courville, veuve et déjà mère de deux fils, artisans sellier et ferblantier. Tous viendront s'installer à Paris sous la Restauration, près des Messageries Royales dont François-Jean est "facteur", passage du Caire et passage de la Trinité.
État civil de la commune d'Écublé (Eure-et-Loir), XVIIIe siècle
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PASSAGE DE LA TRINITÉ À PARIS
Le Passage de la Trinité à Paris doit son nom à l'hôpital qui fut fondé à cet emplacement au début du XIIe siècle. Depuis le XVIe siècle jusqu'à la Révolution, on y accueillit des enfants pauvres ou orphelins, à qui l'on donnait une éducation et un métier. C'est ainsi que s'installèrent dans son enceinte des artisans, qui accédaient à la maîtrise à charge pour eux de former à leur art les "Enfants bleus", ainsi appelés à cause de la couleur de leur vêtement. Après la Révolution, l'enceinte de la Trinité resta lotie et occupée par des artisans, jusqu'au décret d'expropriation et de démolition du 29 septembre 1854, pour permettre l'ouverture du boulevard du Centre, futur boulevard Sébastopol. À deux pas de là, 145 rue St-Denis, se trouvait l'Hostellerie du Cerf, siège des Messageries Royales jusqu'en 1825, date à laquelle sera ouvert le Passage du Cerf. C'est là que vient travailler sous la Restauration François-Jean Lécuyer. Il habite alors rue du Mail, puis rue Montorgueil, son beau-fils ferblantier travaille Passage du Caire. En décembre 1828, son fils François-Joseph épouse en l'église St-Merri Marguerite Colette Posière, qui habite non loin de là rue des Grands-Chantiers (aujourd'hui rue des Archives). De leur union naît Léon-Louis Lécuyer, le 30 septembre 1829, 74 rue des Arts, Passage de la Trinité. Il est baptisé le jour même à St-Nicolas-des-Champs. C'est donc dans ce très vieux Paris, au milieu d'artisans et d'artisans d'art qu'a grandi le futur peintre.
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À L'ÉCOLE DE FERDINAND DUPUIS
La vocation dût se manifester très tôt chez Léon-Louis, la fermeté de l'autoportrait au crayon portant la mention: "Léon Louis Lécuyer à 18 ans" et déjà le monogramme des deux L accolés, puis de l'autoportrait au pastel signé et daté de 1848 (ci-dessous) l'attestent. Au catalogue du Salon, où il expose en 1864, 1866 et 1868, on le dit élève de F. Dupuis. Ferdinand Dupuis, comme son frère Alexandre, était peintre et professeur. Tous deux avaient élaboré et appliqué une méthode novatrice de l'enseignement du dessin, et particulièrement de la perspective, qui reçut en 1834 l'approbation du ministre de l'Instruction publique Guizot. Ferdinand Dupuis enseignait dans les écoles et collèges de la ville de Paris (il eut à Henri IV Maurice Sand pour élève), et c'est ainsi sans doute qu'il remarqua et encouragea Léon-Louis. Ferdinand Dupuis emmenait ses élèves "sur le motif" dans les environs de Paris. Léon-Louis réalisa en 1849, au crayon rehaussé de gouache, diverses vues du Pont de Sèvres, de l'Ile Seguin et une vue de l'Aqueduc de Marly à l'aquarelle (ci-dessous).
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LES SALONS DE 1864, 1866 ET 1868
Léon-Louis épouse en avril 1854 Clémence Flore Montagne et s'installe à Montmartre, Chaussée Clignancourt, où naît son fils Jules, puis rue du Château. En 1864, à 35 ans, il est reçu pour la première fois au Salon pour une "Nature morte, panneau de salle à manger". Il expose en 1866 un panneau décoratif de Fleurs, et en 1868 deux tableaux, "Fleurs" et "Vase et fruits du Midi" (ci-dessous). Les catalogues du Salon le disent élève de F. Dupuis aîné, et de Baudry. Mention surprenante puisque Paul Baudry, né en 1828, a le même âge que Léon-Louis et qu'il est, dans les années qui nous occupent, tout à son projet de décoration de l'opéra Garnier.
Gustave Doré, Le Salon de 1868
"Fleurs" et "Vase et fruits du midi" exposés au Salon de 1868
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Totalement étranger aux bouleversements esthétiques qui fondent ces années-là l'art moderne, Léon-Louis s'inscrit comme peintre de fleurs dans la grande tradition du XVIIe siècle de Jean-Baptiste Monnoyer, dans celle de Chardin comme peintre de natures mortes, et dans celle de Boucher, Hubert Robert et Lajoue dans le goût pour les compositions de paysages et ruines de fantaisie. Les tableaux de Jan Van Dael (1764-1840) offrent une grande parenté d'inspiration et de style avec ceux de Léon-Louis Lécuyer.
Paysage avec ruines de fantaisie (étude préparatoire à la gouache) directement inspiré par Hubert-Robert et Lajoue (ci-dessus)
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Les pommes de Chardin... et celles de Léon-Louis Lécuyer
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L'ananas de J.F. Van Dael ("Tombeau de Julie", détail) ... et celui de Léon-Louis Lécuyer (étude)
Revenu dans son ancien quartier du Passage de la Trinité pendant la Commune, Léon-Louis s'installe finalement au Val-de-Beauté à Nogent-sur-Marne, où il meurt le 1er octobre 1877, à 47 ans.
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CAPRICCIO
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Les bateleurs, signé et daté 1858
Quant au sujet de ce tableau que le vendeur a judicieusement nommé Capriccio, la composition proliférante, mais où dominent les attributs masculins et féminins arbitrés par le petit amour en plâtre pourrait être un cadeau humoristique à un confrère sur le point de se marier. Parmi les attributs masculins figurent en effet des instruments d'artiste peintre: une palette, un compas, une équerre. Léon Louis a su montrer en 1858 ses talents de satiriste en représentant ses amis artistes en bateleurs, ou bonimenteurs de foire (ci-dessous).
En 2016, de façon très surprenante, est apparu sur le marché de l'art à Rome une oeuvre de Léon Louis Lécuyer. Cette étonnante composition se présente comme un tableau placé dans un cadre en trompe-l'oeil orné de petites perles et de pierres précieuses aux quatre angles. Au milieu du tableau, un phylactère porte sur fond blanc en capitales le nom de L L LÉCUYER et la date de 1850. Le sujet est très déconcertant : sur une sorte de table décorée de godrons est posée une urne ornée à son sommet de deux chimères. Devant cette urne, et contrastant avec le piedestal très ouvragé sur lequel il est posé, trône un petit amour à la façon des plâtres d'atelier, qui rappelle celui de Cézanne. Tout autour, dans un ensemble d'entrelacs de grotesques, sont représentés à gauche des attributs masculins, à droite des attributs féminins. Au-dessous, côté masculin, des fruits, côté féminin des fleurs, bien dans la manière postérieure de L.L. Lécuyer. Et parmi tout cela, un étrange bestiaire, mouches et papillons. Devant, environné d'entrelacs et de rinceaux, un buste féminin entouré de deux torches nuptiales à la manière antique.
Comment interpréter une telle profusion baroque de couleurs et de lignes si l'on songe que l'année précédente encore, Léon Louis allait sagement dessiner à la mine de plomb et au fusain à l'Île Seguin et au Pont de Sèvres? La prolifération des rinceaux et des godrons suggère une parodie de motifs décoratifs tels que L.L. Lécuyer en dessine et lithographie pour l'ouvrage intitulé Manuel de peintures que Petit et Bisiaux publieront en 1852 (ci-dessous au centre), mais aussi d'autres dessins préparatoires sans doute destinés à des peintures décoratives en grisaille (ci-dessous à gauche), ou des études, tels ce curieux vase à la tête de méduse et au serpent, qui sera utilisé dans le tableau "Vase et fruits du midi" exposé au Salon en 1868 (ci-dessous à droite).